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LES PONTS et le PORT de VILLEREST Article rédigé par Henri Plasson Le 26 août 1906, cela fera bientôt un siècle,
on inaugurait un nouveau pont sur la Loire, reliant Vernay et Villerest. Pont de
Villerest ? Pont de Vernay ? Les habitants des deux communes qui se
font face de part et d’autres du fleuve eurent tôt fait de personnaliser à
leur convenance un ouvrage bien utile pour les réunir ! Il est vrai que
les autorités officielles responsables de la construction du pont ne semblent
pas avoir voulu donner une préférence à un village plutôt qu’à l’autre.
Sur la photo qui immortalise l’ouvrage la légende indique : « Pont
sur la Loire entre Vernay et Villerest », la première bourgade citée
relevant d’une préséance toute orthographique.
Le pont, peu de temps avant son inauguration : la Loire est presque
à sec, « un fleuve de pierres » !
Par la suite il semblerait, si l’on en juge par les
nombreuses cartes postales qui ont représenté l’ouvrage que ce soit plutôt
« pont de Villerest » qui ait eu les faveurs des photographes. Mais
là encore l’incertitude demeure pérennisant une incertitude qui existait déjà
au Moyen-âge. En effet, on ignore souvent que le pont du XXème siècle
a été construit à faible distance de l’endroit où un pont médiéval
enjambait déjà la Loire.
Le Pont médiéval : Les origines : Si l’on en croit les bons abbés Prajoux et Canard,
historiens régionalistes, le second reprenant en partie les observations du
premier, ce pont aurait été construit dans le dernier tiers du XIIIème
siècle à la même époque que deux autres ponts, l’un à
Saint-Maurice-sur-Loire, l’autre à Pinay. (1) La principale source historique attestant son édification est un acte de donation
datant de décembre 1272. Pierre de
Marcilly, chevalier, lègue dix sols viennois pour sa construction. (2). Ce pont
fut probablement achevé avant la fin des années 1270. En effet, par la suite
on trouve bien trace de nouvelles
donations mais qui concernent désormais son entretien. C’est le cas en 1286 d’une donation d’Alix, veuve de
Messire Pierre de Pierrelas ou en mai 1287 de celle de Pétronille Gibeline qui
lègue cinq sols viennois. Ce pont primitif était situé à une soixantaine de mètres
du pont actuel à l’emplacement d’un gué sur le fleuve. L’utilité : Quelles étaient les motivations des constructeurs ? Il semblerait que son rôle soit en relation avec
l’essor commercial du Forez au XIIIème siècle. La province se
trouve alors sur un axe commercial majeur entre le sud (les ports du Bas-
Languedoc) et le nord (Paris et les foires de Champagne) (3). Sur cet axe
plusieurs routes traversent la région. Le territoire de Villerest est traversé
par le Grand Chemin Ferré (Magnum Iter Ferratum) qui relie le Grand chemin du
Forez à Roanne avant de continuer vers le Nord en suivant la Loire (ce beau
chemin qui existe encore aujourd’hui est devenu - par quel miracle sémantique
incongru ?- le « chemin Napoléon » !). Le village de Commelle près de Vernay est alors traversé
par la voie Sayette qui relie Roanne à Feurs sur la rive droite de la Loire.
Deux chemins importants, donc, dont on facilitait ainsi la jonction en
construisant un pont également utile localement pour relier la petite ville de
Villerest, dotée d’un marché hebdomadaire depuis 1235 et le petit bourg de
Vernay (4). L’aspect : Il est difficile d’imaginer à quoi ressemblait ce pont
dont les vestiges ont presque complètement disparu. Au XIXème siècle, les mariniers embarqués
sur les rambertse chargées de charbon prétendaient encore en voir les culées
au moment des basses eaux (5). Au début du XXéme siècle, l’abbé Prajoux
évoque des « substructures » sur la rive droite « paraissant
appartenir à une sorte de quai », l’abbé Canard décrit
« un large dallage en pierre » sur la rive gauche ». La photo aérienne du site montre indubitablement un alignement de hauts fonds qui pourraient être les bases des piles du
vieux pont médiéval.
Vue aérienne : pont moderne et cerclé en rouge
emplacement du pont médiéval. Ces restes, bien médiocres, n’ont pas empêché l’abbé
Prajoux de risquer une description et d’évoquer « des piles en maçonnerie
sur lesquelles reposaient des étais de bois formant encorbellement et soutenant
les madriers qui unissaient les piles les unes aux autres ». La disparition : Combien de temps ce pont mixte, piles en maçonnerie et
tablier de bois, a-t-il tenu tête aux caprices d’une Loire dont les crues
s’avèrent périodiquement catastrophiques ? Environ un siècle
semble-t-il. Ce sont les
violentes crues des années 1380 qui auraient eu raison de l’ouvrage et
l’auraient rendu inutilisable. En 1390, il est avéré qu’il est déjà détruit.
Il ne sera pas remplacé, faute de moyens, le funeste quatorzième siècle ayant
apporté à notre région beaucoup de déboires commençant par la grande peste
de 1348 et se poursuivant par les débuts de la guerre de cent ans. De surcroît,
l’axe commercial Nord Sud se déplace plus à l’est en empruntant le sillon
rhodanien. Non seulement il ne sera pas réparé, contrairement au
pont de Pinay endommagé à la même époque, mais ses piles en maçonnerie
attirent la convoitise des habitants de Villerest. En 1408, les plus hautes
autorités qui se partagent le pouvoir dans la petite ville, à savoir le représentant
du Comte de Forez et celui du prieur de Marcigny donnent la permission aux
habitants de démolir les piles du pont devenu inutile et d’en utiliser les
pierres pour leur usage (6). Certaines maisons de Villerest sont donc construites avec
des pierres de l’ancien pont médiéval ! Le port de
Villerest Un « port »
pour remplacer le pont. Sur la carte de Cassini, au XVIIIème siècle, on peut voir à proximité du
bourg de Villerest un « port » sur la Loire.
Carte
de Cassini : le port est cerclé en rouge D’aucuns
ont alors imaginé une activité batelière plus ou moins intense en relation
avec la circulation des rambertes transportant le charbon stéphanois, voire le
vin produit à Villerest ! En fait, il y a beaucoup de « ports »
sur la carte de Cassini mais très peu de lieux sur la Loire correspondent à
cette activité batelière, la plupart sont des ports au sens de lieux ou l’on
« passe » d’une rive à l’autre au moyen d’un bac. C’est le cas à Villerest : faute de moyens pour
reconstruire le pont détruit on lui a substitué un port. Ce dernier existe à
Villerest dès le début du XVème siècle. En 1408 les autorités de
Villerest désignent deux « passeurs » pour le « garder » et le pourvoir de
bons bateaux. Sur l’existence de ce port médiéval, on sait assez peu
de choses : il joue probablement un rôle modeste dans le trafic régional,
transportant surtout des piétons et des animaux, mulets et autres bestiaux. La
rive droite de la Loire, côté Vernay, très escarpée étant très
difficilement accessible aux voitures. Après une longue éclipse dans les archives, on retrouve
le port de Villerest et son bac au début du XVIIème siècle. Les droits de
« pontenage » : Le 19 octobre 1625, les habitants, « consuls et
manants » des deux paroisses de la rive gauche, Villerest et
Saint-Sulpice, par le truchement de leurs curés respectifs, vendent, pour la
somme de 1800 livres tournois, leurs droits de « pontenage, port et
passage », à Antoine de la Mure seigneur de Rilly. Ils vendent non seulement les droits mais aussi les
infrastructures (ports, bateaux, cordes et autres outils, ainsi qu’une loge
couverte de tuiles creuses et un chenevier attenant). Mais comme ces « manants »
ne manquent pas de sens pratique, ils se réservent, en échange de la
fourniture du chanvre nécessaire à la confection de la corde, la possibilité
de passage gratuit, de nuit comme de jour, « à pied, à cheval, char et
charrette ». Pour ce faire ils n’hésitent pas de surcroît à céder
à leur acquéreur un ancien droit lié au port : « le droit
de pontenage des noces et épousailles ». On apprend ainsi qu’à
l’occasion d’un mariage les Villerestois devaient fournir aux passeurs une
offrande en nature constituée « d’un pain blanc valant deux sols,
deux pots de vin, une pièce de chair rôtie et une bouillie… ») Le texte révélant cette cession, qui se trouve aux
archives départementales, a été
cité in extenso par Frédéric Noëlas dans son ouvrage célèbre « Légendes
et traditions foréziennes », publié en 1865, dans le récit concernant « L’Ourgon de Saint-Maurice ».
Dans le texte Noëlas met surtout
en exergue la cession par les habitants de Villerest de ce droit quelque peu étrange
concernant le mariage qui pourrait être à l’origine de la légende de l’Ourgon,
ogre géant, lui-même pontonnier
diabolique et terreur des mariniers sur leurs saint-rambertes. Ce texte, intéressant à plus d’un titre pose une
question : quand les habitants de Villerest se sont ils appropriés un
droit qui à l’origine devait appartenir aux seigneurs du lieu ? Il apporte un éclairage intéressant : le chenevier
attenant à la loge, le chanvre pour fabriquer la corde. Au début du XVIIème
siècle, l’embarcation qui permet la traversée du fleuve est arrimée à une
corde : nous sommes déjà en présence d’un bac à traille ! Le bac à traille
au XIXème siècle Le bac à traille est un dispositif ingénieux que l’on
retrouve sur tous les fleuves de quelque importance. Une encyclopédie de 1833
(7) nous en décrit le fonctionnement : « Les bacs se manoeuvrent quelquefois à la rame et
à la voile, mais le plus souvent on emprunte à la force même du courant une
partie au moins de la puissance nécessaire pour les faire se mouvoir. Pour cela
…on fixe sur les deux rives opposées, à des pieux enfoncés en terre les
deux extrémités d’une forte corde qu’on nomme aussi traille ou grelin et
que l’on tend à l’aide de cabestans ». L’embarcation
est elle-même reliée au câble principal par un câble secondaire, le « traillon »,
qui glisse sur le câble principal au moyen d’une poulie (« grenouillette »).
Par le jeu des forces ainsi créées, le bac une fois libéré de la berge par
le passeur qui manie la grande « bourde » avance seul vers la rive
opposée ! Entre Villerest et Vernay une corde est donc tendue,
sensiblement à l’emplacement du vieux pont médiéval (le tracé figure sur
le cadastre napoléonien) et un bac assure le passage entre les deux rives.
Cadastre de Villerest de 1863 sur lequel figure
l’emplacement du bac C’est sur
la rive droite, à Vernay qu’est édifiée la « Maison du passeur »,
maison bien modeste qui figure sur une lithographie de Louis Noirot des années
1870 et sur une carte postale du début du XXème siècle sous
l’appellation « Maison du passeur à la corde ». Modifiée dans
les années 1920 et flanquée d’une tour elle deviendra le « Château de
la corde » !
Lithographie de Louis Noirot
Début
du XXème siècle, carte postale : « maison du passeur à la corde »
Carte postale des
années 1920 : la maison du passeur est devenue « Le château de la
Corde » !
Gravure d’après photographie parue dans le journal l’Indépendant de Roanne (1904). On
peut y voir (cerclée en rouge) la « corde » du bac au premier plan. Si la technique évolue peu, la Révolution a, semble-t-il
apporté des changements importants dans la gestion « des bacs et passages
d’eau ». D’abord exception de l’abolition des droits féodaux en
1790, puis liberté d’établissement en 1792, enfin nécessaire concession par
l’Etat (frimaire an VII). Visiblement, le bac de Villerest, comme beaucoup
d’autres, est devenu propriété d’un particulier qui perçoit les droits de
passage et la municipalité s’accommode fort bien de cet état de fait
jusqu’en 1823. C’est à ce moment que le zélé Directeur des contributions
indirectes du département s’inquiète et demande au préfet de sommer la
municipalité de régulariser une situation qui lèse le trésor public privé
du fermage qui devrait lui revenir. C’est donc une mise en demeure en bonne et
due forme que reçoit le maire de Villerest le 10 octobre 1823 : soit la
municipalité se charge elle-même de l’entretien du bac, soit elle met ce
dernier en adjudication publique. C’est cette dernière solution qui sera
adoptée même si elle déplait à une municipalité qui aurait de loin préféré
le statu quo. A partir de 1823 le bac est donc en fermage. De 1867 à
1894, on connaît le nom de l’adjudicataire : il s’agit du sieur
Gabriel Bonnefond. Son successeur sera Benoit Eliat, carrier de Vernay, avec
lequel se terminera l’aventure en juillet 1907, le bac ’une année à la
construction du pont. Pour traverser la Loire il en coûte 5 centimes à un piéton
en 1894, 10 centimes en 1906. Combien de personnes traversent ainsi le fleuve au début
du XXème siècle ? L’abbé Prajoux a
une vision minimaliste du rôle du bac dont
le rôle essentiel se bornerait au transport des pèlerins le 8 septembre
de chaque année à l’occasion du
pèlerinage de Vernay. (Une carte postale de 1905 atteste, certes, l’importance
de la manifestation).
Pèlerinage
de Vernay le 8 septembre 1905 : le retour du bac à Villerest. A
l’arrière plan, les échafaudages du pont moderne en construction. Mais le reste de l’année, le bac ne transporterait
« que quelques promeneurs solitaires ». La municipalité de Villerest n’a pas, loin s’en faut,
la même vision des choses. Au début du XXème siècle elle souligne
les insuffisances d’un bac dont l’utilisation demeure aléatoire et qui
n’arrive plus à faire face à l’augmentation du trafic, évaluant ce
dernier à 10 000 personnes par an, sans compter le passage de 1500
voitures et bestiaux ! C’est ce qui justifie largement selon elle la
construction d’un pont. Le pont
moderne : La construction Visiblement les deux municipalités ont bien su plaider
leur cause auprès de l’Etat et du Département qui assureront l’essentiel
du financement. C’est ce dernier qui assurera d’ailleurs la maîtrise de
l’ouvrage par l’intermédiaire de l’agent voyer d’arrondissement. Une loi de 1836 a créé pour chaque département un service vicinal. Ce
service est chargé de l’entretien des chemins et des axes secondaires qui deviendront routes départementales. M. Boquel est à l’époque l’agent voyer du département
mais c’est M. Novat qui est
l’agent voyer de l’arrondissement de Roanne. C’est lui qui dessinera les
plans du futur pont et en surveillera la construction. Est-ce le même que ce
Novat (J) qui, quelques années plus tôt, a rédigé un ouvrage important sur
la résistance des matériaux dans
lequel on évoque déjà les ponts ? (8)
Plan
du pont dessiné par Novat et figurant dans le journal l’Indépendant de
Roanne du 10 juillet 1904 Toujours est-il que la construction de l’ouvrage sera
rondement menée. L’adjudication des travaux, en deux lots distincts, la
fondation des piles d’une part, estimée à 45 000 francs et la
construction proprement dite, d’autre part, estimée à 121 000 francs
est conclue le 28 mai 1904. Certes, l’inauguration n’a lieu que le 26 août
1906, dépassant ainsi le délai de deux ans qui était imparti, mais il a fallu
compter avec les impondérables et notamment pour la fondation des piles,
technique difficile, réalisée à l’aide de caissons à air comprimé, il a
fallu traverser une couche plus épaisse que prévue de matériaux meubles avant
de trouver l’assise stable du rocher sous-jacent. Un beau pont Quand au résultat, il est salué semble-t-il unanimement
comme une réussite technique et esthétique. Tout en maçonnerie (et différant en cela des ponts à tablier métallique qui ont fleuri sur
la Loire dans les années précédentes à Pinay, Presles et la Vourdiat), le
pont mesure 133 m de long, sa hauteur est de 15m, il est constitué de 3 arches
de 31,20m et s’il est à voie unique, on a prévu la possibilité pour les
voitures de se croiser à deux
endroits élargis. Pour le construire on a utilisé le granite porphyroïde
de couleur rose tiré de la carrière toute proche de Vernay. Il s’intègre
donc très bien dans le paysage et Emile Noirot en personne, le jour de
l’inauguration « dit à qui veut l’entendre, que ce pont, bien loin de gâter le paysage, comme on
pouvait le craindre, l’embellit au contraire » (propos rapportés par le Journal de
Roanne). Cet éloge reste valable un siècle plus tard même si les nombreux automobilistes qui
empruntent le pont, souvent plus pressés qu’esthètes, pestent quelque peu en
attendant que l’automobile qui vient en sens inverse ait fini son parcours sur
le pont pour l’emprunter à leur tour. Réussite technique et esthétique le pont à pourtant,
lors de son inauguration, soulevé une polémique politique dont rend compte
l’article de Paul COURT. Notes et bibliographie : 1 – Abbé J. PRAJOUX, Le Pont de Villerest. Imprimerie Théolier,
Saint-Etienne. 1907
Abbé J. CANARD, Les gorges de la Loire
entre Balbigny et Roanne . 1980 2 – Archives départementales de la Loire B 1850 3
– VOLET Sandrine. Mémoire de Maîtrise de l’Université Jean Monnet de St
Etienne.2000-2001. Les ponts et les bacs sur la Loire et ses affluents entre
Pouilly et saint Paul-en –Cornillon du XIIIème au XVIIIème
siècles. Bibliothèque Déchelette. Roanne 4
– FOURNIAL E. Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIIIème
et XIVème siècles. 1967 5 – Bulletins de la Diana. Tome
III. 1885 6 – Archives départementales de
la Loire B 1877 7 – Encyclopédie des gens du monde (Répertoire des sciences, des
lettres et des arts). 1833 8 – Novat (J.) Ingénieur des
Arts et manufactures. Cours pratique de résistance des matériaux (Professé à
la Société d’enseignement professionnel du Rhône). 1900
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Ensemble à
Villerest Association loi de 1901
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